• La Lionne / Chapitre n°3

    La Lionne Chapitre n°3

    ( Japonaise pendant la crémonie du Thé )

    3

    A part la famille, personne ne pouvait librement entrer par le jardin, sinon Keisuke Kikuchi. Non pas " pouvait entrer " du reste, mais " entrait ". Ce monsieur entre deux âges, gai et coquet, convaincu que tout le monde l'adorait, cherchait à être dans les bonnes grâces de tous, même de ceux qui _ comme Shigeko_ ne lui plaisaient pas. Pour preuve, il entrait dans le jardin. Personne n'osait l'en dissuader.

    Il etait dix heures du matin quand, ayant terminé son déjeuner auquel elle avait à peine touché, Shigeko rectifiait le bouquet qui décorait la fenêtre de la chambre occidentale en saillie. L'homme qui descendit de la voiture garée juste à l'entrée s'apprêtait à aller dans le jardin, en passant sous cette fenêtre ouverte, quand il y aperçut Shigeko qu'il salua.

    << Tiens, bonjour ! >>                                                                                      Il se découvrit, comme pour démontrer la jeunesse de ses cheveux ondoyants qui brillaient dans la lumière d'automne.

    << J'espère pouvoir compter sur votre présance ce soir. A vous deux.                _Je ne sais pas si Hisao sera rentré.                                                                 _Je lui ai fait parvenir hier un télégramme pour qu'il rentre tout de suite. Ne t'inquiète pas, il sera de retour à temps pour ce soir. Simplement, je suis passé pour m'assurer que tu pourrais venir.                                                                  _ Entrez donc. >>

    ...Keisuke avait longtemps occupé la position de fils spirituel du père de Shigeko. Dans le milieu des affaires, les deux hommes passaient pour être inséparables. Mais Keisuke ne comprenait rien aux relations humaines. Le seul sentiment d'amour dont il fût capable ( même envers sa propre fille ) n'etait qu'euthanastique. Il s'était lancé dans un investissement irrationnel et quasi passionnel pour le soja, le minerai de fer et le porc de Mandchourie, pour se retrouver au moment de la fin de la guerre, avec une quantité gigantesque d'actions des chemins de fer de Mandchourie, dont il  rechignait à se débarrasser. A la fin, il se disait qu'un vieillard asthmatique et complètement décati, comme Genzô Kawasaki, mieux valait le laisser mourire : tel était son amour. En revanche, pour Shigeko, seul survivante de sa famille, il avait tout de même fait l'effort d'engager, dans la nouvelle société qu'il était  en train de mettre sur pied, son mari, qui s'était senti démuni après leur rapatriement et après la mort de son beau-père. En plus, Hisao plaisait à Keisuke. Ce jeune homme dynamique, agrémenté d'un parfum d'anarchie, qui, de lui-même, avait choisi d'affronter le vent du nord qui faisait rage en Mandchourie, s'etait étrangement bien adapté au Tokyô chaotique de l'après-guerre.

    ...Depuis quelques semaines, Keisuke était lassé du rôle paternel qui lui était échu, à cause d'un probleme sentimental de sa fille Tsuneko. La veille à peine, il avait fait une escapade à Atami en compagnie d'une femme avec laquelle, depuis une dizaine d'années, il se permettait tout. Le matin précédent, il était allé chez Yonekura, le coiffeur du quartier de Ginza, et il lui sembla que sa coupe si fraîche préservait, autour de ses oreilles, une réminiscence de sensualité, au point que l'attitude hautaine de Shigeko lui inspira une envie de fuite immédiate. Il contint un bâillement, ce qui fit briller des larmes sournoises dans ses yeux candides de jeune chien.

    L'amour pour une fille unique qui a perdu sa mère peut, chez certains pères, enfler juqu'à leur faire connaître les tortures de la jalousie, mais ce n'etait nullement le cas de Keisuke. L'indépendance vaillante de sa fille l'amusait tout simplement. Cela le divertissait aussi de la voir célibataire à vingt-quatre ans _ c'est-à-dire à tout juste un an de l'age de Shigeko. Cela l'avait également réjoui de constater que des étuatudiants mobilisés pendant la guerre, nombreux plus que de raison, avaient fait leurs adieux dramatiques à Tsuneko. Et quand sa fille lui mentait effrontément, son ravissement atteignait presque à son comble. Sa quête égoiste était radicale : il lui suffisait de savoir que sa fille voyait un " bon-père" en lui, ses employés un " bon patron ", ses amis un " bon copain", et les gens en général " quelqu'un de vraiment bien" ; la certitude d'être aimé de tout le monde frappait de nullité tout problème sentimental et il lui était donc inutile d'aimer. Sa liaison avec cette femme, qui ne s'était pas plus rapprochée qu'éloignée de lui en dix ans, et sa bienveillance à l'egard de son nouvel employé, Hisao, n'étaient certainement rien d'autre que sa façon de les remercier de s'être contentés de le considérer comme " quelqu'un de bien " et de n'avoir jamais outrepassé cette limite. Au fond, sa répulsion sans raison envers Shigeko tenait peut-être à une raison inverse.

    La société qu'il était en train de mettre sur pied était spécialisée dans la distribution du cinemas américain. C'était une grande entreprise dans laquelle le groupe S. Ôsaka avait une participation, mais il avait installé ses bureau dans sa maison qui avait échappé aux bombardements, c'est-à-dire son propre bureau, la chambre de feu sa femme et une salle de sejour, mais on courait toujours le risque d'un réquiqitionnement. Au départ, Hisao avait été engagé comme secrétaire, mais son expérience, qu'il avait acquise à Moukden, dans la compagnie cinématographique japono-mandchoue, s'était révélée utile dans le travail : pour ce qui était, par exemple, de la tâche fastidieuse de demander une autorisation préféctorale afin d'ouvrire une salle en province, il s'en acquittait de ville en ville, à la place du patron. Et du reste, au bureau, où la famille de Keisuke se trouvait sous le même toit, il n'y avait aucune raison pour que cet homme qui avait pour surnom " Attaque éclair" restât sans rien faire, les bras croisés.

    Il était trop habile, si bien qu'il n'obtenait jamais que les femmes, ce bagage lourd à porter. Pour avoir avec elles l'argent et la position social, il aurait fallu une maladresse subtile. Dans le cas de Shigeko également, il n'avait obtenu qu'elle.

    Tsuneko n'avait pas un gramme de graisse, grâce au basket-ball qu'elle pratiquait régulièrement, et Hisao avait pu vérifier la blancheur de sa chair ferme et sa sveltesse d'alevin, un jour où, aprés avoir raccompagné un visiteur, il était rentré par la porte de service et avai aperçu ses cuisses, l'ayant surprise, en short, en train de jouer au tennis avec une amie sur leur court privé. Elle venait de rater une balle qu'elle alla ramasser dans un buisson. Tout en observant à la dérobée ses jambes blanches, tandis qu'elle s'agitait dans les hautes herbes, il s'adressa à son amie :

    << Vous avez vos lacets défaits.                                                                 _Tiens, c'est vrai. >>

    La jeune fille, plutôt potelée et apparement sympathique, glissa sa raquette sous un bras et s'agenouilla. Quand elle se releva, elle dut croire que cet homme qui était entré soudain par la porte de service était un ami de Tsuneko. A près l'avoir remercié, elle regarda tour a tour à son visage et celui de Tsuneko qui revenait vers eux, et dit :                                    

    << Je voudrais boire de l'eau fraîche. Où pourrais-je en trouver ?                          _ Je vais vous en chercher. >>                                                                           Hisao y alla aussitôt.

    Lorsque Hisao revint avec un verre, apparement les deux filles avaient eu le temps de jaser sur cet " homme revenu de Mandchourie " : L'amie de Tsuneko le reçut avec un air serieux qui dissimulait son rire. Elle triturait un mouchoir dans sa mignonne petite main potelée. Elle proposa le fond de son verre à Tsuneko qui s'en abstint.

    Hisao la remplaça sur le court pour jouer avec Tsuneko : cette dernière s'agitait mécaniquement comme si le coeur n'y était pas, mais elle renvoya chacune des balles avec une force qui étonna Hisao. Lorsque Hisao, qui avait déjà saisi comment s'y prendre avec Keisuke, apprit que les filles n'étaient jamais allées danser, il les emmena dans un établissement, sans omettre de prier Tsuneko de demander la permission de son père, mais Tsuneko restait toujours taciturne. Or il l'eut raccompagnée en début de soirée et qu'il allait repartir, elle fit une légère moue, mais avec une expression dure dont on n'aurait su dire si c'était dédain ou coquetterie :

    << La journée s'est écoulée, dit-elle  ironiquement, sans que rien ne se passe. >>   C'etait là l'ironie de quelqu'un qui connaissait les circonstances dans lesquelles Hisao avait rencontré Shigeko. Il fit semblant de s'en etonner :

    << Parce que quelque chose pouvait se passer ? C'est vraiment dommage.            _ Quel manque de sincérité ! Je n'aime pas les hommes insincères. Je ferais bien de mettre en garde Shigeko.                                                                              _ Je vais le faire moi aussi. >>

    Hisao était légerement éméché. Il la quitta après lui avoir serré la main, mais il garda de ce contact glacial une douleur aiguë.

    ...Le probleme  sentimental de Tsuneko, qui préoccupait Keisuke depuis quelques semaines, était précisement sa relation avec Hisao, qui avait donc connu cette évolution. Cette fois il était vraiment interloqué, mais, en même temps, il trouvait la situation extrêmement drôle. Les procédés auxquels tout parent qui se respecte aurait recours lui parurent tous stupides.

    << Vous savez dit Keisuke à Hisao sur un ton famillier dont il avait le secret, la bigamie est toujours un crime dans la nouvelle Constitution.                                  _ Je suis désolé. >>                                                                                           Dans les yeux de Hisao, brillait une confiance inébranlable en Keisuke. Ce dernier se sentit flatté. Il avait encore des réserves d'indulgence, ce qui est typique d'un homme qui passe son temps à se persuader de ne pas en faire preuve. A vrai dire, perdre cet employé avec lequel il se sentait en phase _ cet homme de confiance qui lui donnait l'impression d'être "quelqu'un de bien " _ etait inconcevable. Et puis, il avait encore plus envie de se sentir " quelqu'un de bien ".

    << Si vos sentiments pour Tsuneko sont sincères, dit Keisuke sans rien laisser paraître, pourquoi ne pas vous séparer de Shigeko ? >>

    Hisao sentit instinctivement que les paroles de Keisuke étaiet dépourvues d'ironie, il se mit à raconter dans le détail à son " future beau-père" qu'en effet Shigeko lui était devenue insuportable et qu'ils n'étaient plus mari et femme que sur papier. Dès la première année qu'ils avaient passée à Moukden, il n'avait plus su comment combattre ses crises violentes de jalousie, aussi féroces que des griffes d'une lionne. Si keisuke s'était autant impliqué dans les problèmes sentimentaux de Tsuneko ,c'est que contrairement aux fois précédentes, elle s'en était ouverte à lui en réclamant son aide. Un soir, avant de se coucher, le père et la fille avaient écouté seuls la radio de l'armée d'occupation américaine, et, quand, leur émission préférée étant terminée, ils eurent éteint le poste, Tsuneko demanda soudain à son père s'il lui était arrvé de tomber amoureux de la femme d'un autre.

    << Humm...>> Ce n'était pas le sujet de l'amour qui pouvait le démonter.          << Tomber amoureux au sens large, ça m'est arrivé très souvent. Mais au sens strict, deux fois. Tu les connais toutes les deux.                                                    _ Moi, c'est la première fois. >>

    Tsuneko rit nerveusement. Il était possible de comprendre que c'etait la première fois qu'elle entendait son père parler de la chose. Il avait l'air plus endormi, tandis qu'il répondait : 

    << Je ne cache rien. C'est simplement parce que tu ne m'avais jamais interrogé.     _ Mais non, je parlais de moi                                                                                _ Tu es lesbienne ?                                                                                             _ Pas du tout. >>

    Elle se mit à boire le whisky qu'elle lui avait demandé de lui servir.

    << N'en bois pas trop. >>                                                                             C'est ce qu'il avait prit l'habitude de lui dire car, Tsuneko avait tendance à l'accompagner sans pouvoir s'arrêter.

    << Tu sais, je ne l'ai plus vu boire.                                                                      _ De qui est ce que tu parle ?                                                                             _ C'est rare chez quelqu'un qui à vecu en Mandchourie.                                        _ Shigeko ?                                                                                                       _ Tu es méchant ! >>

    ...Keisuke avait à peu près deviné la vérité. Mais il y allait de son honneur, s'il se montrait surpris en l'apprenant de la bouche de sa fille elle-même. Il fallait qu'il feignit d'avoir tout su d'avancce. Cela dit, cette attitude revenait précisement à tout accepter.

    << Pourquoi pas Hisao ? Mais il a femme et enfant.                                              _ C'est pour cela que je t'en parle depuis tout à l'heure. Il est prêt à se séparer de Shigeko. Je suis disposée à élever l'enfant.                                                          _ C'est complètement fou. ça deviens Interessant. >>

    Ce soir-là ils discutèrent jusqu'à une heure avancée, mais il sembla à Keisuke que c'etait sérieux. Tsuneko et Hisao en étaient déjà arrivés à une conclusion cynique et égoïste : la maison des Kikuchi allant êtrre réquisitionnée, Keisuke achèterait à Hisao la maison des Kawasaki dont, tôt ou tard, ce dernier serait obligé de se débarrasser pour pouvoir payer les frais de succession ; une fois que Keisuke et Tsuneko s' y seraient installés, Hisao procéderait au divorce ; étant attaché à leur enfant, il en aurait la garde, ce qui soulagerait Shigeko et lui permettrait de se remarier ou d'aller dans la région dont son père était originaire. Keisuke s'apprêtait à dire : << Est-ce que ça se passera aussi simplement ? Pour commencer, Hisao déteste-t-il Shigeko autant qu'il le pretend devant toi ? >> mais il se retint. La question aurait été indigne de lui. Tout au plus, pouvait-il en sourire. Peu importe la façon dont évoluerait la passion de Tsuneko, il n'y aurait rien à redire tant qu'il pourrait acquérire la maison des Kawasaki. Malgrés un tel raisonnement, il ne pût s'êmpecher d'être pré-occupé, si bien qu'il fut plutôt déprimé durant ces quelques semaines où il fit venir tour à tour Tsuneko et Hisao pour sonder leurs véritables intentions. Leurs explications lui semblèrent légitimes, et quant au désespoir inévitable qui serait celui de Shigeko, Keisuke y était aussi indifférent que les deux autres.

    << Qu'un amour sincère est puissant ! >> s'exclama emphatiquement ce libéral sentimental qui avait reçu son éducation dans les années dix. << Je prie pour que vienne au plus vite le moment où votre amour pourra se montrer au grand jour. Il n'y a rien de plus immoral qu'une vie conjugale privé d'amour. Je me considère différent des autres pères. Vos problèmes, vous allez les résoudre vous-mêmes. Hisao, j'ai beaucoup d'estime pour votre courage et votre capacité d'agir. >>

    Hisao fut assé surprit mais Tsuneko était habituée à ces sermons de son père. Keisuke savait, bien entendu, que l'amour de Hisao n'était pas dépourvu de spéculation sur l'avenir, mais puisque rien n'est plus vacilliant qu'un amour sans calcul, il se trouvait au contraire rasuré sur ce point-là. Mais le problème de la maison était prioritaire, et maintenant qu'il avait signé un contrat avec Hisao, à l'insu de Shigeko, il ne restait plus qu'à faire entériner la décision par cette dernière : il comptait évoquer la question, eu dîner intime à quatre auquel Shigeko était conviée, au cours d'une conversation légère.

    Voilà pourquoi il fallait absolument que Shigeko fût présante au dîner ce soir.

    En entrant dans dans la salle de sejour, Keisuke s'approcha du bouquet de Crysanthèmes que Shigeko venait d'arranger :

    << C'est toi qui les a arrangés ? Tu as vraiment du talent. On a l'impression que les fleures ont été abandonnées au hasard, mais en réalité, d'où qu'on les regarde, leur forme est parfaite. >>

    A vrai dire, Keisuke n'était en rien un homme de goût. Sa conception de la vie pouvait paraître occidentale : mais elle ne s'était nourrie que du cliquètement de la machine  à ecrire, du bruit sec d'un chèque qu'on arrache à son carnet, de son gros paquet de cartes de visite de relations, du bilan habilement équilibré des compte  de sa société. Il observait Shigeko avec un regard innocent de chiot. Elle était belle sans aucun doute. Mais c'etait la beauté d'une femme dont la confiance en son apparence avait été anéantie par un homme, une beauté insaisissable, une beauté à laquelle plus rien ne s'appliquait. Les cernes noirs de ses yeux clamaient assez nettement sa terrible souffrance . Shigeko avait fini par avoir l'habitude déplaisante de voir les gens comme à travers des paupières mi-closes.

    << Il y a sept ans que je n'avais pas vu de Chrysanthèmes Japonais.                     _ Ah...oui. >>

    keisuke avait la tête ailleurs. Le malheur de Shigeko l'avait rendu couard. Il avait la sensation que le maheur d'autruit était contagieuX. Il se levait déjà  à demi pour partir :

    << Alors tu viendras ce soir à coup sûr ?                                                               _ Oui je voudrais apporter de l'alcool. Venez avec moi dans la cave, vous choisirez la bouteille. >>

    La collection d'alcools occidentaux de Genzô Kawasaki était célébre. Comme il n'y avait fait goûter que ses amis les plus proches, elle était entourée d'une rumeur mysterieuse.

    << Merci. Il faut dire que j'ai vidé tout mon stock avant les bombardements... Si j'avais su, je l'aurais gardé. >>                                                                Là-dessu, Keisuke sembla penser à quelque chose.

    << Oui, j'accepterais volontiers ta proposition. Mais la cuisine ne mérite vraiment pas qu'on ouvre une bouteille. L'autre jour, tu m'as servi du Johnny Walker, n'est ce pas ? Cette bouteille entamée fera l'affaire. Il doit en rester la moitié.                     _ Oui, elle est restée en l'état. Personne n'y a touché.                                           _ Alors, ce sera parfait. Tu n'auras qu'à me l'apporter, s'il te plaît. >>

    Avec cette morne conversation, Keisuke manqua de nouveau l'occasion de s'en aller. Un Coup de Klaxon et l'insulte qui suivit les firent sursauter. Comme un écolier à la fin d'un cours qui l'a ennuyé, il alla voir par la fenêtre. Il aperçut des enfants qui se précipitaient vers le portail, en explosant dans leur course la plante noire de leurs pieds. Le chauffeur de Keisuke sortit le buste de sa voiture garée sous le porche et se saisit d'un de ces enfants pouilleux. Ce dernier riait en gigotant, et le chauffeur aussi riait en regardant son maître.

    << Qu'est ce qui se passe ? >>

    Le chauffeur s'était endormi sans s'e rendre compt et les enfants lui avaient joué un tour en Klaxonnant. Le chauffeur repondit qu'il avait attraper l'enfant qu'il semblait être le meneur.

    << Amène-le Ici. >>

    On voyait, même de loin, que les traits de l'enfant s'étaient durcis. Shigeko s'apprêtait à se lever quand Keisuke, avec un air affairé et un regard rieur, alla prendre un biscuit sur la table avant de retourner à la fenêtre.

    << Tiens, dit-il à l'enfant en montrant du doigt Shigeko, Madame te donne une récompense. Elle te récompense pour avoir réveillé le chauffeur endormi. >>

    Donnant ainsi, sur un coup de tête, le beau rôle à Shigeko, il tendit le  bras par la fenêtre au maximum, tout en veillant à ne pas salir la manche de son vêtement neuf de demi-saison, et laissa tomber le biscuit. Mais l'enfant ne compris pas du tout l'humour des adultes. Il lança un regard hébété vers ce monsieur d'un certain âge. Shigeko eut le coeur brisé devant cette scène pathétique.

    Le meneur des petits recouvra tout de même un sourire d'adulte, esquissa une courbette branlante, puis se mit à grignoter sur place le biscuit par petit bouts, pensant probablement que c'était conforme à la bienséance. Le chauffeur le taquina : << Tu m'as joué un mauvais tour et tu y as gagné quelque chose ; tu dois m'en donner la moitié. >>

    Pendant ce temps, deux ou trois enfants qui semblaient s'être tapis dans le buisson de devant pour guetter s'attroupèrent sousla fenêtre. Ils étaient tous affreusement sales. Le visage des enfants qui s'approchaient pas à pas était aussi impassible que raide, au point d'en être effrayant : On n'y reconnaissait nullement ce sourire gêné qu'un enfant d'autrefois aurait affiché. Ils marchaient en silence, comme des chats, pieds nus sur les graviers ronds.

    Cette tristesse indicible de leurs traits, Keisuke ne la comprenait ni ne la sentait. La seul chose qui l'intéressait était d'acquérir une popularité auprès de ces nombreux visiteurs souillés pour lesquels il n'éprouvait pas le moindre amour. Il alla chercher à toute vitesse le plateau de biscuits.

    << Allons, tendez la main. Un biscuit par tête. Mais quelles mains dégoutantes ! On se demande si ce sont des pieds ou des mains. Si on les lave, on verra peut-être que ce sont des pieds. >>                                                                                   Il n'oubliait pas de lancer des regards charmeurs en direction de Shigeko.

    << Voilà, c'est tout. Remerciez maintenant Madame. C'est elle qui vous a donné ses précieux biscuits. >>                                                                                 Les enfants partis, Keisuke se rassit d'un air satisfait.

    << Les enfants sont vraiment adorables. >>                                                        Il mentait. Il avait falsifié sa pensée, voulant dire en réalité :

    << Au fond, ne trouve-tu pas que je suis adorable ? >>

    ...Cette falsification, si infime fût-elle, mit Shigeko hors d'elle. Si ces mots avaient été adressés à son enfant à elle, elle n'aurait pas été en proie à une telle fureur. Mais, dans ce cas, cette bonté veule et éhontée s'était appliquée à quelque chose qui n'avait rien à voir avec Shigeko, et pour cette raison, cet homme s'était révélé en un instant sans écran : du coup, Shigeko avait été obligée de voir, sous sa forme la plus nue, et avec horreur, le mèpris que Keisuke éprouvait à son égard, dans toute son étendue muette. Et il fut surpris qu'elle lui rétorquât avec haine.

    << Je ne les trouves absolument pas adorables. ça me déprime, quand je pense que je dois voir ce genre d'enfants même en métropole. J'éspèrais voir des enfants dignes de ce nom à mon retour. >>

    Keisuke batti alors en retraite.                                                                             << C'est une grave conséquence de la guerre. Mais ce qui est drôle, c'est que les enfants révèlent leur vrai visage à ceux qui les aiment. >>                  

    Cela ne fit que redoubler la rage de Shigeko.                                                     << Non, ils ont la mentalité des mendiants. Des adultes sans scrupules en ont fait des gueux.                                                                                                          _ C'est possible, mais...                                                                                     _ Où qu'ils aillent, les adultes ne cherchent que les applaudissements.  Les enfants le savent : n'ont-ils pas été dressés à applaudir pour faire plaisir aux adultes ?       _ Enfin..., fit Keisuke en restant hébété un instant. Tu as des idées bien tordues. >>                                                             

    Il lui fallut du temps pour comprendre que ces mots de Shigeko avaient touché l'endroit le plus sensible. Tout comme un blessé commence à souffrir avec retard. Bien qu'il fût accablé d'un accés de sensiblerie en constatant que son élan de bonté pure avait été trahi, Keisuke ne négligea pas d'affiner sa contre-attaque.

    << Le débat commence à se corser. Tu m'as vaincu... Je déclare forfait. >>            Ses yeux s'était chargés de tristesse comme pour appeler la compassion. Cela ne pouvait qu'attendrir le coeur de Shigeko et elle s'en sentirait désolée. Mieux valait attendre ce moment pour l'attaquer plus efficacement en la prenant au dépourvu. Mais Shigeko restait toujours insondable. Keisuke finit par oublier sa réserve habituelle.

    << Shigeko, avec toi je me sens complètement futile. Pourtant je me vante d'être un père très compréhensif. Je tolère les amours de ma fille, même celles que des parents moyens ne tolèreraient pas. C'est parce que je place une confiance absolue en ma fille. Par exemple ( Keisuke s'agitait avec gêne sur sa chaise ), j'ai deviné que le voyage de ma fille avait la même destination que le voyage de Hisao. Mais, en tant que père, je n'ai rien à reprocher ni à ma fille ni à ton mari. >>

    Il scruta le visage de Shigeko, comme pour mesurer l'effet de ses paroles.               << Car je place une confiance absolue en ma fille.                                                _ Pourquoi son voyage...>>

    Elle pensait se montrer ironique, mais sa voix tremblait trop pour le lui permettre.  << ...devrait-il avoir la même destination que celui de mon mari ? N'est ce pas honteux de seulement l'imaginer ?                                                                      _ Mais j'ai vu de mes propres yeux le télégramme que Tsuneko avait chargé la bonne d'envoyer à l'hôtel de Hisao.                                                                       _ Je ne le crois pas !                                                                                           _ Mais ne rien vouloir croire, ce n'est pas ça, l'amour. Admettre le désintérêt de son mari conduit parfois à douter de son propre amour. En ce monde, croire seulement en l'amour est un doux rêve. Passe encore s'il sagit d'un amour réciproque, mais si l'un n'est pas aimé par l'autre... >>

    Shigeko gardait la tête baissée. On aurait dit qu'elle s'était assoupie. Alors, curieusement, Keisuke eut la pulsion soudaine de suciter de la pitier chez cette femme qu'il venait de blesser autant qu'il l'avait souhaité.

    << Je n'ai pas eu de naissance un coeur cruel, dit cet homme solitaire, en larmes. La tristesse que mon coeur éprouve en ce moment même a plusieur fois failli me déstabiliser. >>                                                                                        Shigeko se leva. Elle se couvrait totalement le visage de ses mains. Elle sortit de la pièce. La porte se referma. Ses sanglots longs et sinistres s'éloingnèrent.              Keisuke s'approcha de la fenêtre, pour appeler son chauffeur d'une voix claire et timbrée.                                                                                                           

    << Je m'en vais ! >>                                                                                         Puis, dans la somptueuse lumière du matin qui entrait par la fenêtre, il fit sauter, d'une chiquenaude, un petit fil sur sa manche. Le fil dansa pendant un moment comme un animal minuscule dans un halo doré et brillant.

     

    Fin du chapitre 3 ( chapitre 4 à venir ^^ )


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