• La Lionne / Chapitre n°4

    La Lionne Chapitre n° 4

     

    Personalités

    ( écolier Japonais allant à l'école maternel accompagné de ses parents )

     

    4

    Lorsque trois coups de sonette retentirent à l'entrée, à l'approche de midi, Katsu dut abandonner son passage favori dans La vaillance et le Charme de Kôroku Satô, passage dont elle ne se lassait jamais __ Surprise, Yasué accourut pour le retenir par la manche. << Qu'allez-vous faire ? demanda-t-elle affolée. __ Lâche-moi, fit-il, je vais massacrer Yumihiko ! __ Ne vous laissez pas piquer au vif ainsi. Attendez un instant, je vous en prie. >> Tandis qu'il la repoussait violement, elle mit toute sa force à... __ , et elle se leva vigoureusement, puis hésita. En un tel moment, le comportement de Katsu était pareil à celui qu'elle avait autrefois, quand, lors des garden-parties organisées sur la pelouse, ou, sans aller jusque-là, à l'occasion de dîners pour plus de dix invités, elle dirigeait les cuisiniers, bonnes et servantes, veillant à ne pas laisser refroidir la soupe ni fondre la glace. Alors, même les extras qui les aidaient semblaient bomber le torse, d'un air empli de morgue, qui clamait : << Je suis très occupé >>, et, tout essoufflés, se bousculaient dans le couloir avant de se répéter de bons mots, imitant aussitôt dans la cuisine le tic bizarre d'un invité pour en rire, quitte à casser une petite assiette de valeur, et menant toute cette agitation dans une sorte d'atmosphère somnambulique. Depuis ces brillantes soirées de banquets, elle n'avait guère changé quand, dans un souci de compassion pour un incident familial, elle déployait tous ses talents de stratège, ne fût-ce qu'en entendant retentir une sonnerie. Dans les deux cas, elle réagissait avec ce visage presque outrageusement sérieux propre aux âmes compatissantes. La sonnerie de la porte d'entrée avait un son légèrement plus doux et mélancolique que celle du portail du jardin. Trois coups annonçaient Hisao. Quelques temps auparavant, Shigeko avait demandé à Ketsu de rester à la maison toute la journée. Cette dernière avait même cédé à Yokoi les cinq heures de repos qui lui permettaient de rester à l'école maternelle après qu'il avait accompagné Chikao, et elle avait accepté d'accueillier, pendant ce temps, les visiteurs, ce qui aurait été la tâche normale de l'intendant. Elle n'avait aucune hésitation pour se précipiter vers le vestibule et accueillir Hisao à son retour, mais en revanche, elle s'inquiétait pour le maître de maison, soudain revenue : elle-même avait déjeuné à Onze heures et demie et n'avait pas à cuisinée pour Shigeko qui ne se sentait pas bien. Le retour inopiné de Hisao, en présance de Shigeko qui avait éclaté en sanglots inexpliquables après la visite de Keisuke Kikuchi, avait, en effet, sucité en elle divers sujet d'inquietude.

    Comme il ne voyait encore personne venir l'accueillir, Hisao regardait à l'interieur de la maison par la fenêtre en trellis, d'un côté de l'entrée. La vieille servante l'aperçut, le dos tourné à un buisson lumineux, les epaules secouées d'un rire joyeux et ses dents d'or brillant dans son sourire.

    << Bonjour...Merci bien...>>                                                                                  Katsu n'avait pas encore ouvert la porte ajourée que Hisao s'empressait de lui adresser ces mots de remerciement.

    << Monsieur a fait bon voyage ?                                                                           _ Oui. Merci de vous être occupée de la maison pendant mon absence. >> 

    Quoiqu'elle se sentît l'alliée de Shigeko, un tel déploiement de gratitude l'embarrassa et elle chercha presque à lui arracher des mains le sac de voyage.

    << Non, ça ira. Je n'ai pas encore l'âge de vous laisser porter mon bagage. J'espère que Chikao va bien. Il va toujours bien à l'école ? Ah, avec Yokoi ? ( tout en parlant, il s'apprêtait à monter l'escalier. ) Je meurs de faim. Le train était si bondé que je ne pouvais ni faire un geste ni fumer : J'ai fait tout le voyage debout à partir de S. Prévenez-moi dès que le repas sera prêt. Je serai dans mon bureau. >>

     ...Quand le repas fut terminé et que Katsu se fut retirée, Hisao entendit Shigeko approcher par la galerie extérieure. Il supportait mal que sa femme apparût de cette manière, indépendamment du fait qu'elle l'aimât ou non. Elle qui était censée le haïr apparaissait ainsi soudain devant lui comme une Geisha qu'on avait sollicitée. Il ne quitta pas des yeux le journal qu'il avait déplié devant lui, sur le sol de la véranda.

    << Tu es rentré bien brusquement.                                             _ Oui, le patron m'a envoyé un télégramme. >>

    Ils s'observèrent, telles deux femmes qui viennent de se rencontrer par hasard. Comme Hisao avait une affaire urgente avec Keisuke, il s'était rendu directement au bureau, mais il l'y avait pas trouvé et avait pu le rejoindre dans une société de distribution de films étrangers. C'est là qu'il avait appris l'embrouillamini qui venait de se produire entre Shigeko et Keisuke, mais ce dernier n'avait fait aucune allusion à ce qu'il avait dit de la liaison de sa fille avec Hisao, si bien que, à presant, Hisao ne voyait dans le maquillage soigné de sa femme qu'une insistante coquetterie. Il ignorait que ce maquillage était une façon de jeter un maléfice. 

    Les yeux de Shigeko avaient tissé un filet effrayant. Ils étaient prêts à capter le moindre indice trahissant l'homme qui venait de quitter une femme, quelque chose comme une douceur langoureuse, comme une braise, comme un sentiment fiévreux. Mais il était impossible que la fatigue chaotique de son voyage en train n'eût pas estompé ces impressions subtiles.

    Hisao était le genre d'homme à devenir terriblement maladroit dès que ses passions ne s'exerçaient plus d'une façon ou d'une autre. Plus il se montrait froid à l'égard de Shigeko, plus elle se laissait attendrire par sa gaucherie qui ressortait alors. C'était un amour tragique et marqué de contradictions. Si une femme qu'il avait séduite avec un art consommé, mais pour laquelle son amour s'était refroidit, eût été témoin de l'habileté avec laquelle il avait laissé pourrir la situation, elle en aurait éprouvé une telle désillusion que la séparation n'en aurait été que plus aisée. Mais la maladresse inattendue l'empêchant de surmonter les obstacles qui accompagnaient le refroidissement de ses sentiments réveillait en elle un autre type d'amour, celui-là maternel, qui rendait la séparation encore plus difficile. Le cas de Shigeko était proche de ce schéma. Et les pièges déraisonnables de l'amour ne pouvaient que provoquer une blessure encore plus grave et une mort douloureuse.

    << M. Kikuchi est venu tout à l'heure.                                                                  _ Je l'ai vu. Tu l'as mit de mauvaise humeur. Il paraît que tu as dit des choses déplaisantes. ça m'ennuie que tu agisses ainsi. >>

    Il sembla à Shigeko que, si Keisuke était allé jusqu'à ce reproche, il aurait a fortiori avoué qu'il avait commis l'erreur d'évoquer la liaison de sa fille devant l'épouse de son amant. Si donc Hisao disait tout cela, c'était ou bien par fanterie pour cacher son embarras, ou bien pour prendre les devants.

    << Pourquoi cela t'ennuie-t-il ?                                                                            _ Parce qu'il mérite des égards.                                                                           _ C'est ton future beau-père évidemment !                                                            _ Que racontes-tu ? >>

    Shigeko posa ses beaux yeux sombres sur son mari. Elle s'était, par obstination, imposé la règle de dissimuler ses larmes à un mari qu'elle avait cessé d'aimer, mais ne put s'y tenir. Peut-être que la maladresse avec laquelle il feignait l'ignorance avait réveillé ce tragique amour-là et l'avait autorisée à verser des larmes.

    << M. Kikuchi m'a humiliée d'une façon qui aurait fait perdre toute force de se relever à la plus courageuse des femmes. Il m'a dit, dans le seul but de me blesser, que Tsuneko et toi vous vous aimiez et que vous étiez partis en voyage. Tu affirmais que l'homme, en dehors de chez lui, se battait avec une épée : beau combat, en effet ! Moi, je trouve qu'il vaut mieux combattre trois fois qu'accoucher une seul fois. >>

    Hisao était opiniâtre : les larmes d'une femme qui n'aime pas n'avaient pas la force de l'émouvoir. Il sentait simplement que ses épaules étaient libérées de leur fardeau, maintenant que Keisuke avait révélé à Shigeko par mégarde sa liaison avec Tsunako. Il ne chercha même pas à le nier pour la forme, comme on était en droit de l'attendre d'un mari. Il ne se rendait pas compte que la paresse complète qui l'empêchait de protester risquait de passer aux yeux d'une femme pour une sorte d'excessives privautés.

    << Je ne sais pas ce qu'a raconté mon patron, mais si je ménage ses sentiments, ce n'est pas pour ça, mais à cause de cette maison. Tu sais très bien que la maison de M. Kikuchi va être réquisitionnée. La nôtre, il faudra de toute façon s'en débarrasser, terrain compris, pour pouvoir payer les frais de succession. Il n'y aura pas de meilleur acquéreur que lui.                                                                       _ C'est ma maison. Jamais je ne la lui vendrai. Il est vrai que si nous la vendons, nous serons bien obligés de quitter les lieux. Si l'acquéreur est un inconnu, nous partirons tous ensemble. Mais si c'est M. Kikuchi, il n'est déjà que trop évident que moi seul serai mise à la porte comme un va-nu-pieds. Et, toi, tu vas rester dans cette maison, n'est ce pas ?                                                                                 _Mais qu'est ce que tu racontes, Shigeko ?                                                            _ Non, je ne la vendrai pas... ah ! fit-elle en fixant le visage de Hisao, avant de reculer légèrement. Ce visage-là, je comprends. Tu l'as déjà vendue !... sans me consulter... la maison de papa ! >>

    La jalousie démultipile la perspicacité. Hisao se sentit désemparé. Il avait déjà connu une première fois cet instant abominable.                                                    ... Digne d'être la fille de Genzô Kawazaki, qu'on appelait, dans la force de l'âge, le " nouveau soleil du milieu des affaires ", cette fille adorée du soleil possédait une lumière capable de s'infiltrer dans les moindres interstices du coeur et une chaleur intense capable de dessécher les plantes. C'était surtout à Moukden, juste après la guerre, que Hisao avait connu cet instant abominable où une flamme léonine avait traversé les prunelles de Shigeko. C'était un secret que lui seul, en dehors d'elle, connaissait. A part les quelques mois qui avaient suivi leur mariage, cela avait été leur periode de plus grande intimité. A Moukden après la guerre, où l'ambiance les attirait corps contre corps, se confondant avec un désir désespéré de survie, même Hisao n'avait plus la possibilité d'être volage. Dès la fin de la guerre, ils avaient commencé à vendre leurs affaires pour vivre et ils allaient travailler ensemble dans un magasin de produits occidentaux tenu par un chinois dans l'une des artères commerçantes de la ville, mais les soins amoureux de Shigeko avaient enrichi cette existance. Le soir venu, quand ils rentraient au foyer, épuisés par le travail commun, au moment où Shigeko se changeait près de la cheminée, il était arrivé à son mari de laisser la marque de ses jeunes dents sur la chair lisse des épaules rondes que la combinaison dénudait.

    Un matin, Hisao l'accompagna dans le logement de son frère qu'ils n'avaient pas vu depuis longtemps. Il y'avait un attroupement à l'entrée et une bonne, Russe blanche, debout sur le seuil, racontait l'incident dans un japonais étrange. Elle disait que le frère de Shigeko avait été enlevé par l'armée soviètique à la première heure : son statut confidentiel de lieutenant des Services secrets ayant été découvert. Puisque tous les documents sur les secrets militaires avaient dû être brûlés à la fin de la guerre, c'était forcément la délation d'un Japonais qui était au courant de ce fait. A l'èpoque la délation était fréquente et les Japonais se soupçonnaient mutuellement.

     Shigeko se contenta d'opposer une mine sombre de circonstance, en accord avec les murmures inquiets des badauds. Les moindres objets présentant un intérêt avaient été pris et la visite fut terminée quand ils eurent fait un tour dans la pièce vide de son frère. Ils ne trouvèrent aucun message de sa part.                               

    Mais pendant qu'ils descendaient, en direction de la ville, l'escalier de pierre où la neige avait été déblayée sommairement, Shigeko avait la tête baissée, et Hisao comprit que c'était pour dissimuler un sourire satisfait qu'il devinait sur ses lèvres.

    << Qu'y a-t-il de si drôle ? >>                                                                              Elle leva la tête et, en effet, avait un sourire serein. Mais Hisao vit dans ses yeux palpiter un éclat noir.                                                                                          << On dirait qu'il y'a quelque chose.                                                                     _ C'est moi qui l'ai dénoncé.                                                                                 _ Toi ! >>   s'écria-t-il. Mais il ne douta pas. S'il ne croyait pas ce fait en apparence invraisemblable, alors le frisson qui le parcourut quand il perçut l'éclat des yeux de Shigeko pouvait, lui aussi, être faux. Il crut tout, comme quelqu'un qui assiste à un accident de voiture en plein jour.

    << Bien sûr... Tu en es capable.                                                                         _  Ne t'inquiète pas : mon frère ne reviendra plus. Aujourd'hui ou demain, il sera conduit dans un terrain vague discret, et un peu plus tard les riverains entendront un bruit qu'ils prendront pour un exercise de tir. Nous n'aurons plus à voir ses yeux de merlan frit. On va se régaler en son honneur ce soir tous les deux. Après le travail, on fera les courses au marchè, d'accord ? >>

    Le frère de Shigeko haïssait Hisao. Il s'était montré extrêmement méprisant quand ils s'étaient mariés. Après la guerre, le couple avait rétabli avec lui une relation, du moins pour la forme, mais il n'avait pas cessé de laisser percer une grossière ironie dans son attitude taciturne et revêche, morgue fréquente chez les militaires. Il disait : << Ce sera amusant, une fois qu'on sera de retour à la métropole. >> Il comptait mettre à la porte Hisao, une fois rentré, et remarier Shigeko à un vieux riche lubrique, pour la punir d'avoir épousé un homme d'origine douteuse. Ils étaient, pourtant, authentiquement frère et soeur, nés de mêmes parents. La haine mutuelle que se vouuent un frère et une soeur, comme cela se produit souvent, naît du lien du sang lui-même et c'est précisement vers ce lien qu'elle se retourne.

    ...En cette instant, Hisao goûta de nouveau cette chose horrible qu'il avait décelée autrefois dans son sourire serein et le sombre éclat de son regard. Faute de mieux, il s'abandonna à une remémoration mécanique, comme toujours, en espérant qu'en parlant il atteindrait à la vérité de son coeur.

    << Malheureusement, je n'ai pas aimé une seule femme. Il m'est arrivé de ressentir le besoin d'aimer. Mais pas une seul fois, je n'ai ressenti le droit d'aimer. A dire la vérité, toutes les femmes que j'ai rencontrées m'ont rappelé ce devoir d'aimer. Toi aussi. Mais, toi non plus, tu ne m'as pas rappelé le droit d'aimer.          _ Quelles inepties !                                                                                             _ J'admets t'avoir trompée. Mais on peut dire que cette trahison ne m'a jamais fait éprouver la saveur de l'adultère. Les amours ne m'ont jamais rien enseigné que le plaisir moral et mesquin d'avoir " accompli un devoir ". Si ce n'était que cela, mieux valait connaître le plaisir d'un hypocrite. Je ne suis capable que de bonnes actions médiocres et insipides. Il est tout à fait déplacé de ta part d'être jalouse de moi.      _ Je n'ai pas la moindre envie d'entendre de telles échapatoires. On a déjà dépassé la question de savoir si on aime ou pas. Maintenant ce n'est plus qu'une question négligeable.                                                                                                       _ Tu mens ! >>

                                           

    ( le chapitre est en cours d'écriture ^^ )

     

     


    Tags Tags : , , , , , , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :